Juin 30, 2022 par Julien Monnier
Rappelons rapidement le principe : « L’employeur met à la disposition des travailleurs les équipements de travail nécessaires, appropriés au travail à réaliser ou convenablement adaptés à cet effet, en vue de préserver leur santé et leur sécurité » (art. R.4321-1 du Code du travail – CT).
Autrement dit, à l’employeur de fournir le matériel utilisé par le salarié. Mais dans l’univers de la culture, du spectacle et du cinéma, les salariés viennent souvent avec leur propre matériel – en particulier les artistes mais aussi les techniciens.
La loi n’est pas ignorante du fait. Observons un instant l’article L.7121-4 du Code du travail : « La présomption de l’existence d’un contrat de travail subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération, ainsi que la qualification au contrat par les parties.
Cette présomption subsiste même s’il est prouvé que l’artiste […] est propriétaire du matériel utilisé. » Autrement dit, le législateur a bien conscience du phénomène. Combien de guitaristes viennent sur scène sans leur propre guitare ? Pourtant, le Parlement ne s’en empare pas pour en réguler les conséquences. Il laisse une situation particulière sans régime adapté alors même qu’elle cadre mal avec les règles générales sur le sujet. Aux employeurs de trouver une solution. Avec l’appui du Cahier Pro.
Premièrement, il faut partir du règlement intérieur et donc en adopter un si ce n’est pas déjà le cas. Le règlement intérieur est obligatoire pour les entreprises de 50 salariés et plus (art. L.1311-2 C. trav.). En-dessous de ce seuil, il est facultatif. Pour réguler la question du BYOD dans votre entreprise, il va falloir en posséder un. C’est à l’employeur de le rédiger. Il faut le soumettre au Comité social et économique si l’entreprise en possède un, ce qui peut être le cas à partir de 11 salariés. Il faut le communiquer à l’Inspection du travail, le déposer au greffe du conseil de prud’hommes du ressort de l’entreprise et le diffuser auprès des salariés. L’ensemble de la procédure est décrit dans le Code du travail (art. L.1321-4 et. R.1321-1 et s. C. trav.)
Le règlement intérieur permet de fixer « les mesures d’application de la réglementation en matière de santé et de sécurité dans l’entreprise ou l’établissement, notamment les instructions prévues à l’article L.4122-1 [du Code du travail] ». En son second alinéa, cet article indique que « les instructions de l’employeur précisent, en particulier lorsque la nature des risques le justifie, les conditions d’utilisation des équipements de travail ». Il faut donc insérer une clause à ce sujet.
Par exemple :
- Article n° X : Origine du matériel de travail – Interdiction du matériel personnel
Conformément aux dispositions des articles L.1321-1, L.4122-1, L.4121-1 et L.4121-2 du Code du travail, dans le cadre de l’exécution de leur travail, les salariés ne doivent utiliser que le matériel qui leur est fourni par l’employeur. Aucun employé n’est admis à utiliser le matériel dont il est propriétaire pour exécuter sa prestation de travail. À titre exceptionnel, seuls les employés signataires d’une dérogation contractuelle écrite pourront utiliser le matériel qui leur appartient. L’absence de respect de ces dispositions pourra entraîner une des sanctions disciplinaires visées au présent règlement.
Inclusion dans le contrat de travail
Il faut ensuite intégrer dans les contrats de travail une clause relative à la pratique du BYOD. Nous vous proposons la rédaction suivante, explications à l’appui (par galanterie et pour éviter une écriture inclusive, nous prendrons l’exemple d’une salariée).
Rappelons qu’il serait illégal d’inscrire dans le contrat une obligation pour la salariée d’apporter son matériel. La pratique doit donc être à l’initiative de la salariée et il faut savoir de quel matériel on parle. Il ne faut pas hésiter à être précis en inscrivant, s’ils existent, les numéros de série ou tout élément distinctif. L’employeur accepte l’emploi d’un matériel, pas celui de son remplaçant ou de la copie de ce matériel.
À la demande expresse de Madame X, et à titre exceptionnel au regard de l’article X du règlement intérieur, la société Y a accepté que la salariée puisse exercer son activité en utilisant son matériel personnel, à savoir « DÉSIGNATION DU MATÉRIEL ».
Il faut rappeler dans le contrat que l’employeur a mis et met encore du matériel à sa disposition. Tout en anticipant une possible difficulté d’approvisionnement en cas de retour au matériel de l’employeur.
À tout moment, la salariée pourra demander à recourir au matériel mis à sa disposition par la société Y. Compte tenu de la situation exceptionnelle initiée par la salariée, le matériel sollicité peut alors ne pas être immédiatement disponible. La salariée s’engage à continuer d’utiliser son matériel pendant le délai nécessaire à la société Y pour se procurer ledit matériel. La société Y se procurera le matériel dans les délais les plus brefs permettant la fourniture d’un matériel présentant les conditions d’utilisation respectueuses de la santé et de la sécurité de la salariée.
Dangerosité a priori, dommages a posteriori
Il est impératif pour l’entreprise de s’assurer de ce qu’est ce matériel et surtout de son absence de dangerosité. Par exemple, pour les appareils électriques, l’employeur pourra exiger de constater qu’ils présentent bien les marquages CE (le fabriquant ou l’importateur s’engage à respecter la législation européenne en réalisant des contrôles et essais avant commercialisation) ou encore NF ou ENEC (un organisme extérieur et indépendant teste les produits et certifie que le produit concerné est conforme à des critères de qualité supérieurs aux standards communément en vigueur). À chacun de s’adapter en fonction du matériel en question.
Madame X a présenté le matériel lui appartenant à la société. Dans la mesure de leurs constatations, tous deux reconnaissent que le matériel présente les conditions d’utilisation respectueuses de la santé et de la sécurité de la salariée, notamment les marquages NF ou ENEC. La salariée est responsable de l’entretien de son matériel personnel afin qu’il reste non préjudiciable à sa santé et sa sécurité.
Il faut encore prévoir la prise en charge du matériel par une assurance en cas de dommage au matériel. Rappelons dès à présent que les dommages provoqués par le matériel au salarié ou aux tiers restent de la responsabilité de l’employeur. Il est donc préconisé d’informer son assureur de la situation.
Avant toute utilisation du matériel lui appartenant, Madame X justifiera avoir souscrit une police d’assurance couvrant les risques d’utilisation de ce matériel dans le cadre de son activité professionnelle. Elle s’engage à présenter ce justificatif sur toute demande de la société. Celle-ci ne pourra être tenue responsable en cas de perte, vol ou dégradation.
L’usage du matériel chez soi
Il est nécessaire encore de contrôler le fait que la salariée pourrait utiliser son matériel chez elle. Imaginons qu’il s’agisse de son ordinateur portable. Elle va bien entendu le ramener chez elle le soir et les weekends. La tentation pourrait être grande pour la salariée d’avancer le travail alors même qu’elle est sur des temps de repos. C’est l’employeur qui en payerait les conséquences, avec de possibles réclamations d’heures supplémentaires, le non-respect des temps de repos, le manquement à la tenue des documents de décompte de la durée du travail, etc. Sans même approfondir la question du manquement à l’obligation de respect de la santé et de la sécurité du salarié et celle du travail dissimulé.
Il est rappelé à la salariée l’importance du bon usage du matériel qui lui appartient, en vue d’un nécessaire respect des temps de repos et de congé ainsi que de l’équilibre entre vie privée et familiale et vie professionnelle. La salariée a ainsi interdiction d’utiliser à des fins professionnelles le matériel lui appartenant en dehors de son temps et de son lieu de travail. Seul un accord de télétravail permettrait de lever cette interdiction et cela, dans le seul cadre des stipulations de cet accord.
Modalités d’indemnisation des charges
Il faut ensuite se poser la question de la charge financière. On pourrait avoir la réflexion suivante : pourquoi payer ou indemniser un salarié pour l’utilisation d’un matériel personnel qu’il n’utilise que parce qu’il l’a réclamé, alors même que l’employeur lui en propose un autre gratuitement ? Parce que la Cour de cassation l’exprime ainsi : « Les frais qu’un salarié justifie avoir exposés pour les besoins de son activité professionnelle et dans l’intérêt de l’employeur doivent être remboursés sans qu’ils puissent être imputés sur la rémunération qui lui est due, à moins qu’il n’ait été contractuellement prévu qu’il en conserverait la charge moyennant le versement d’une somme fixée à l’avance de manière forfaitaire » (Soc., 27 mai 2009, pourvoi n° 07-42.227).
Autrement dit, la Cour ne s’intéresse pas à l’origine des frais (que le salarié ait demandé à utiliser son matériel ou non importe peu) mais à leur cadre (les besoins de l’activité professionnelle) et au but visé (l’intérêt de l’employeur). En conséquence, soit l’employeur rembourse au titre des frais professionnels, soit il forfaitise l’indemnisation de cette dépense au titre d’une partie de la masse salariale.
Sur le papier, l’ensemble des employeurs a le choix entre deux modalités d’indemnisation des charges dans l’optique de les exclure de l’assiette des cotisations et contributions de sécurité sociale.
Premièrement, il peut rembourser les dépenses réelles ou prendre en charge directement les frais. Mais cela impose d’avoir un justificatif de la dépense. S’il s’agit de consommables, c’est une solution possible. Mais on voit mal quel justificatif présentera la salariée parce qu’elle a utilisé sa guitare, par exemple.
- Dans le cadre de l’utilisation du matériel lui appartenant, les frais exposés seront remboursés sur présentation des justificatifs de la dépense par la salariée.
Deuxièmement, l’employeur peut verser des allocations ou indemnités forfaitaires. Il revient à l’employeur d’établir que des frais ont été effectivement engagés et leur caractère professionnel. Il faut donc recueillir des pièces justificatives. La principale sera naturellement la preuve que le matériel utilisé appartient bien au salarié, d’où une clause sur le sujet.
Avant toute utilisation du matériel lui appartenant, Madame X justifiera être propriétaire du matériel désigné plus haut.
RGPD : matériel et donnée personnelle
Comme il s’agit d’une donnée personnelle, il faudra également prévoir le respect du désormais célèbre RGPD. Les précisions apportées dans ce cadre permettent aussi à l’employeur de justifier de la conservation et l’emploi éventuel de ce justificatif.
- Afin de permettre la bonne application du contrat et de justifier du paiement à la salariée de frais professionnels, notamment dans le cadre d’un contrôle de l’URSSAF sur la bonne application des législations de Sécurité sociale et d’assurance chômage, sur l’exactitude des déclarations et sur le paiement des cotisations et contributions non prescrites, la société conservera une copie de ce justificatif tant que ce matériel sera utilisé et jusqu’à épuisement des délais de prescription du paiement des charges sociales (trois ans à compter de l’expiration de l’année civile au titre de laquelle elles sont dues). Si nécessaire, le justificatif sera présenté à l’URSSAF.
Pour mémoire, vos salariés sont informés de leurs droits dans le cadre du RGPD via le règlement intérieur, une note de service, le contrat de travail, etc. Il n’est pas indispensable de les rappeler ici.
Frais professionnels ou somme forfaitaire
Étant donné que les frais exposés par le salarié constituent l’usage du matériel, il est manifeste que l’employeur doit payer l’amortissement de ce matériel. Il est vivement conseillé que la méthode choisie en accord avec votre comptable figure au contrat pour augmenter la précision des justifications à fournir à l’URSSAF en cas de besoin. Si elle est possible, une formule de calcul mise au point avec votre comptable serait la bienvenue.
- Dans le cadre de l’utilisation du matériel lui appartenant, les frais exposés seront calculés en application de la méthode d’amortissement (linéaire / variable / dégressif / etc.).
Pour mémoire, pour certaines professions, l’employeur peut utiliser la déduction forfaitaire spécifique, notamment pour les artistes dramatiques, lyriques, cinématographiques ou chorégraphiques, musiciens, choristes, chefs d’orchestre, régisseurs de théâtre, journalistes, rédacteurs, photographes, directeurs de journaux, critiques dramatiques et musicaux, personnel de création de l’industrie cinématographique et speakers de la radiodiffusion-télévision française (Profession Culture a édité un Instant Pro sur ce seul sujet en juin dernier*).
À défaut donc de choisir la voie des frais professionnels, et pour rester dans le cadre formulé par la Cour de cassation, il faudra verser à la salariée une somme fixée à l’avance de manière forfaitaire. Il s’agira donc d’une prime incluse dans l’assiette des charges et contributions sociales. Si la convention collective applicable régit ce type de prime, il faut s’y référer (à notre connaissance, les conventions collectives de la culture ne prévoient pas ce type de primes). Les trois clauses ci-dessus seront donc remplacées par la clause suivante.
- En compensation de l’utilisation à des fins professionnelles du matériel lui appartenant, Madame X se verra attribuer mensuellement une prime de « MONTANT » euros.
Enfin, il convient pour l’employeur de donner un cadre strict à l’exécution de cette situation contractuelle exceptionnelle en rappelant, ne serait-ce qu’à des fins pédagogiques, que les stipulations ci-dessus sont contraignantes et peuvent entraîner une sanction en cas de manquement. On prévoira donc la clause ci-après.
- Le manquement par Madame X à l’une ou l’autre des stipulations ci-dessus pourra donner lieu à une sanction disciplinaire.
Rappelons pour finir que la pratique du BYOD déroge à la règle selon laquelle l’employeur fournit le matériel de travail. Certes, la réalité de certains marchés du travail rend incongrue cette obligation juridique. Il faut alors encadrer la pratique concrètement aux parties. D’où les propositions qui vous sont faites aujourd’hui. Néanmoins c’est à chacun de s’adapter et de prendre attache avec un professionnel qui délivrera un conseil spécifique à votre cas personnel.